vendredi 5 février 2010

Thomas Bloch

J'aurais tellement à dire à propos d'Hubert. Mais il serait incongru de parler ici d'échanges qui restent de l'ordre du domaine privé. En même temps, je ne savais pas grand chose de son oeuvre. Chaque fois que nous nous parlions à l'occasion de (nombreuses) séances d'enregistrements (je suis musicien et il appréciait les instruments rares dont je joue) ou au téléphone pour prendre des nouvelles de l'un et de l'autre (ce qui nous arrivait souvent), nous devisions de tout et assez peu de musique. Il se voulait un artisan et je le soupçonnait de refuser le qualificatif d'artiste. Mais l'un n'allait pas sans l'autre en ce qui le concernait.

Certains disaient qu'Hubert était un ours. Pourquoi pas, quand on a gardé une âme d'enfant, on aime les ours. Et les ours sont savant, c'est bien connu. Mais il était était surtout pudique et modeste, bien qu'il s'en défendait. Un jour que je lui demandais où je pourrais trouver une biographie à son propos, en vue de la publication d'un de mes disques sur lequel il avait travaillé, il m'avait répondu, presque gêné, qu'il n'en savait rien et qu'il ne se souvenait pas des titres des films et des albums sur lesquels il avait travaillé. C'était assurément une parade car lorsqu'il s'agissait de parler de ses complices compositeurs et musiciens, il était intarissable et se souvenait de chaque repas et de toutes les anecdotes à leurs propos, remontant loin dans le temps. Il n'hésitait pas non plus à parler technique musicale, à parler de l'orgue qui lui avait appris les combinaisons de timbres, de sa méthode de travail, des nuits passées à écrire la musique, de ses fidèles crayon et gommes. J'admirais son travail et dès notre première rencontre à Londres où il avait ses habitudes avec Philippe Sarde, le courant est passé immédiatement. Dès cette première rencontre, j'ai passé plus de temps à discuter qu'à jouer, entre le studio, les restaurants, les taxis et les chambres à l'hôtel. Depuis, il y eut d'autres séances et il est devenu un ami.

Hubert (je l'appelais cousin Hub) me demandait de participer à des séances d'enregistrement, dès qu'il pouvait m'inviter (notamment avec Philippe Sarde), je n'hésitais pas non plus à lui demander un coup de main. Ainsi, l'anticlérical avait accepté d'orchestrer une "Missa Cantate" pour sopraniste (soprano masculin) et orchestre symphonique que j'avais composé en vue d'une publication sur le label Naxos. Ce ne devait pas être une mince affaire : 10 mouvements et 45 minutes. Ce n'était pas faute d'avoir insisté, mais il avait lui-même refusé d'être rémunéré. Il me proposé de travailler gratuitement, ce projets étant auto-produit et semblant l'enthousiasmer après que je lui ai remis les partitions. Il me demandait juste de ne pas lui fixer de délai car il devait honorer d'autres projets dans le même temps (heureusement pour lui, bien plus lucratifs). J'acceptais volontiers, n'ayant pas d'impératif et je ne voulais rien lui imposer non plus au niveau de l'orchestration, si ce n'était la voix, l'orchestre symphonique et une partition piano à 4 mains et voix écrite de manière précise. Bien sûr, nous avions prévu une séance de travail. Elle tourna court. Je lui avais à peine joué les quelques premières mesures du début du premier mouvement qu'il me dit : "c'est bon". S'ensuivit nn rapide survol de quelques passages clefs. Le reste du temps fut consacré à corriger quelques erreurs dans le texte latin (qu'il parlait quasiment couramment !), ceinture de sécurité (il avait pour habitude de mettre une pince à linge pour en alléger la tension), chapon de Bresse et vin de paille. Nous nous connaissions assez bien par ailleurs pour ne pas avoir besoin d'aller plus avant. Et si j'avais fait appel à lui c'était parce que je voulais qu'il imprime sa griffe. Je fus surpris de recevoir la partition à peine deux mois plus tard, un délai court pour quelqu'un d'aussi demandé qu'Hubert qui ne pouvait y jeter un oeil qu'à ses heures perdues ! Et bien sûr, je n'ai pas été déçu. Pas une note à changer. Ensuite, je me souviens avec émotion des séances au fin fond de la Pologne. Le voyage impliquait notamment 3 heures de bus, seul moyen de rejoindre l'orchestre si l'on venait à Varsovie en avion. Il s'en était amusé lorsque je l'avais rejoins, le premier soir, au restaurant de l'hôtel où il goûtait les plats locaux les plus exotiques, par curiosité intellectuelle. J'ai réalisé un petit clip lors de cet enregistrement, basé sur l'un des mouvements de la Missa Cantate. Hubert y apparaît à quelques reprises.
Cette vidéo est visible sur youtube : http://www.youtube.com/watch?v=ypF4TyG-_sg
A plusieurs reprises, chaque fois que nous nous parlions ou travaillions ensemble, il me dit qu'il était fier du travail réalisé et combien il appréciait la pièce et me demandait des nouvelles de sa publication chez Naxos (qui interviendra malheureusement trop tard pour lui, en janvier 2011). En temps normal, je me méfie des compliments. Mais venant de lui qui honnissait la langue de bois et avait l'habitude de dire exactement le fond de sa pensée, je fus touché et pas peu fier, moi, le compositeur "à temps perdu", de recevoir ses éloges qui valent toutes les légions d'honneur. Je fus ensuite d'autant plus ému lorsque son fils m'apprit que des extraits de ma (je dois plutôt dire de nôtre) Missa Cantate furent diffusés lors de sa cérémonie funéraire, en mai 2009.

Au fait, Hubert, si internet permet de communiquer au delà des frontières et que tu décide enfin de t'intéresser aux ordinateurs, tu liras peut-être ce message. J'ai toujours dans ma cave les bouteilles de Pinot gris d'Alsace grains nobles et de Riesling des coteaux du Brandt de Turckheim que je t'avais promis en dédommagement de ce travail. Tu passes quand tu veux.

Thomas Bloch (glassharmonica - ondes Martenot - cristal Baschet)